Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Ires et délires

Ires et délires

Mes amours, mes douleurs ...

Publié par Paloma/Users/jeaninegueran/Downloads/copyrightfrance-logo9.gif
Publié dans : #Nouvelle


L’ENFANT QUI CHERCHAIT LE SOLEIL 
Paloma Gueran

Alba regardait sa mère. Marie, allongée sur le canapé était penchée sur son livre comme absente au monde qui l’entourait. Elle ne voyait pas le chat qui dormait sur le piano muet  ni le soleil qui faisait scintiller la mer derrière la fenêtre du salon. Elle ne voyait pas non plus sa fille assise silencieuse sur le vieux fauteuil près de la vaste cheminée où l’hiver on allumait un feu.
Alba savait que lorsqu’elle lèverait les yeux, son regard ne s’attarderait pas sur elle comme si elle lui était transparente.
Marie était une femme encore jeune. Elle vivait seule avec sa fille depuis le départ de son compagnon , le père d’Alba.
Sa vie depuis lors, s’était arrêtée. Telle une virgule suspendue au bord d’une phrase elle se maintenait au bord d’une existence sans relief.
Le matin elle se dépêchait de vaquer à ses quelques occupations ménagères puis attendait le départ d’Alba pour le collège pour s’adonner à son plaisir favori : la lecture.

Plus rien n’existait alors, ni le monde de ses voisins qui s’animait autour d’elle. Elle avait bien quelques amis qui ne comprenaient pas toujours cette vie un peu recluse dans laquelle elle s’était réfugiée et qui semblait lui suffire. Ils leurs fallait déployer des trésors d’ingéniosité et parfois de petits mensonges pour l’extraire au monde des mots.
Car Marie n’avait pas toujours été cette jeune femme silencieuse. Elle avait un caractère joyeux et son humour et sa gaité avaient fait d’elle un bout en train parmi ses proches.
Nul ne connaissait la raison de ce changement.
Qui aurait pu expliquer pourquoi et quand elle avait dérivé vers ce monde du silence des mots jamais partagés ? Car Marie n’éprouvait pas le besoin de parler de ses lectures.
A quoi bon lire si ce n’est pas pour en parler, se demandait Alba qui ne comprenait pas cette passion muette qui l’éloignait d’elle. Alba avait peur de déranger Marie quand elle rentrait à la maison et son existence dans la maison ressemblait fort à celle de Tango leur chat siamois mélomane. Tous deux marchaient sur la pointe de pattes et réduisaient leurs mouvements à l’essentiel. La maison était un peu celle des ombres qui se croisent et se frôlent. Alba petite fille joyeuse et exubérante à l’extérieur  essayait de ne pas troubler l’atmosphère. Elle en souffrait beaucoup.
Sa mère semblait l’ignorer comme si elle lui avait été étrangère.Seul le dîner  les réunissait et elles partageaient dans le murmure des sons que dispensait un petit téléviseur qui apportait un peu du monde extérieur.

Alba ne comprenait pas pourquoi sa mère ne la voyait pas, elle ne la regardait pas non plus. Se rendait-elle compte de sa présence, de son existence ?
Elle n’avait pas demandé à passer sa vie auprès de cette femme étrange et si différente des mères de ses amis.
Ne l’aimait-elle pas ? Se demandait-elle parfois.
Etait-elle autre chose qu’un petit animal de compagnie ? Un deuxième petit Tango ?
                                                                                                                                       1
                                                                                                                                                                                                          
Ce dimanche là pourtant, Alba ne vit pas le regard attristé, presque douloureux que sa mère posa sur elle.

Elle savait que Marie, ou du moins Marie LePort n’avait jamais pu quitter la grande maison où enfant et adolescente, elle avait vécu auprès de ses grands-parents.
Son âme y était restée et continuait à errer de pièces en pièces dans cette vaste demeure qui contemplait la mer.

Marie s’y sentait reine et lorsque le beau temps le permettait elle descendait au port proche dans lequel son bonheur vibrait comme les drisses des bateaux dans le vent.
Elle vivait près d’une petite crique et y passait des heures avec les amis de l’enfance.

Les jours de pluie et de tempête la trouvaient au grenier contemplant la mer qui se formait,  avec les jumelles de Pierre, son grand-père. 
C’était un ancien marin , un bourlingueur des mers qui lui racontait ses campagnes et la faisait rêver.

Marie, dès l’enfance savait qu’elle resterait au bout du quai comme toutes les femmes  de l’île.
Elle avait bien de la peine à l’accepter et ne fréquentait que les garçons qui de temps à autre l’emmenaient sur l’onde.
Là, elle trouvait son bonheur et son esprit s’en allait vagabonder aux confins de mondes, seuls connus d’elle.

Lorsqu’elle eut 15 ans, le bonheur et l’insouciance la quittèrent. Pierre et Louise sa grand-mère ne revinrent jamais d’une partie de pêche. On ne retrouva rien du Petit Auguste sur lequel ils avaient embarqués.

La grande maison où se mêlaient les rires et les joies des frères, sœurs et cousins connut le silence.

Le soleil ne franchissait plus les volets clos sur une vie comme effacée.

Les parents de Marie et toute les adultes de la famille durent se résigner à mettre un panneau « A Vendre » à l’entrée de la propriété.

Cette belle demeure, se vendit vite. On oublia que Marie y été née et son âme et son corps continuèrent à monter la garde dans la tour de guet qui surplombait le large.

Elle, si gaie, devint mutique ou presque. Elle errait, petite âme en peine, cachant son désarroi dans les chemins les plus éloignés de son bonheur enfui.

Elle se replia comme une soie fragile et se déchira aux obstacles de la vie. 

Ce petit froissement qui lui serrait le coeur, elle l’entendait encore sur les arpèges qui s’échappaient du piano du grand salon où elle aimait à se tapir comme le Jean-Christophe de Romain Rolland quand les longs doigts de sa mère en caressaient les touches faisant vaciller le silence de l’après-midi.

Elle l’éprouvait encore au souvenir de l’odeur du coaltar dont on calfatait les coques des canots dans le petit port où elle aimait à s’attarder auprès de ceux qui étaient son monde, son univers comme Pierre, son grand-père.

Elle en éprouvait encore la douleur dans le silence qui avait remplacé les rires complices des enfants de la famille quand l’été la réunissait autour de cette tablée qui faisait toujours une place à l’ami de passage.

Pour se protéger, Marie apprit à fuir dans les chemins de traverses éloignés des témoins de sa douleur.

Elle emprunta des sentiers solitaires et silencieux où la vie bruissait à peine. Elle s’éloigna de ses repères habituels pour se perdre au fond de villages qu’elle connaissait moins.

Dans l’un d’eux, à la fraicheur et l’ombre d’un vallon, près d’une fontaine, elle fit la rencontre d’un homme encore jeune  qui peignait en silence.
Leurs échanges étaient silencieux et complices. Elle admirait son talent, le regard qu’il posait sur la nature environnante et son pinceau qui la sublimait.

Bien vite, cette rencontre d’un jour devint rendez-vos quotidiens . Les mots étaient inutiles pour traduire ce frôlement de deux sensibilités.

Yann, comme il s’appelait apprit à l’attendre et bientôt ce dialogue silencieux et retenu se poursuivit dans la petite maison près de la source qui était l’abri côtier, l’atelier et la demeure de Yann.

Marie y trouva la quiétude et une amitié presque une « amourtié » comme elle aimait à le dire.

Les frôlements de l’âme se firent plus doux et corporels. La modeste couche de Yann s’ouvrit à Marie et son corps meurtri trouva le plaisir et la tendresse.

Cette rencontre quasi ignorée de tous dura le temps d’une année qui éloigna Marie LePort du petit port où elle avait fait sa vie avec les amis de l’enfance, et au rythme de l’arrivée et des départs des bateaux le soir quand l’île redevenait une île.

Marie devenue femme au contact de Yann vit son corps changer, découvrir la plénitude et les rondeurs qui donna vie à la petite Alba. Nommée ainsi car née à l’aube dans le vallon brumeux qui espérait le soleil pour révéler sa splendeur.
Aucun médecin, ni sage femme ne présida à sa naissance. Yann se tint auprès de Marie qui découvrit l’enfantement dans la solitude et la douleur.

Yann très vite, jalousa la présence d’Alba et se montra plus distant auprès de Marie. Des jours entiers, elle connut la solitude la la petite maison tapie au fond du vallon. 

Elle y vécut comme exilée et dut apprendre la solitude. Yann partait tôt le matin pour ne rentrer que le soir.
Un jour, il ne rentra plus et Marie dut se rendre à l’évidence que le dernier bateau, un soir lui avait dérobé.

Dans la petite maison qu’elle fit sienne, elle s’habitua à vivre silencieuse avec les livres pour compagnie, regardant grandir Alba cette enfant qui lui resta un peu étrangère et qu’elle regardait grandir avec étonnement, sans chercher à comprendre.

Tous aimaient Alba, qui il est vrai était douce et ne contrariait jamais personne. Comme s’il lui fallait être aimée de tous, Alba se conformait toujours aux désirs des autres. Doutait-elle de l’amour de sa mère ? Sans doute …

Alba grandit et devint une jolie adolescente mais Elle, semblait ignorer qu’elle avait du charme et pouvait plaire.

Elle était une élève appliquée que rien en particulier ne semblait retenir.
Son plus grand plaisir était le temps qu’elle passait sur les quais auprès des pêcheurs qu’elle écoutait et admirait.D’eux, elle apprit, le sens du vent, le remmaillage des filets, certaines astuces de pêche.
Ce monde d’hommes et ses odeurs la séduisait  et chaque jour la ramenait au bout du quai dans le vieux port.

Ces hommes aguerris semblaient apprécier sa présence et l’attention qu’elle leurs portait.
Marie, sa mère ne comprenait pas l’attrait qu’exerçaient ces hommes de mer sur sa fille.

Jamais elle n’établit de relation entre son attitude silencieuse et l’absence d’hommes dans son entourage.

Alba qui s’ennuyait auprès de cette mère fantôme, préférait la mer et ses couleurs changeantes.
Cette dernière l’attirait comme un aimant. Alba désirait échapper au sort des femmes de son île et aspirait à la liberté.

Un jour de tempête alors que toutes les membrures de l’humble maison du vallon, craquaient, elle monta dans le petit grenier.

Dans une grande malle , dissimulée sous un vieux tapis, elle découvrit une palette encore empreinte de couleurs, des tubes de peintures si nombreux qu’elle ne pouvait les compter’, des pinceaux, un chevalet de bois, une vieille blouse, des flacons marqués médium, essence de  térébenthine, diluant , vernis ...

Elle comprit vite l’usage qu’elle pouvait faire de sa trouvaille, de son trésor.

Sans rien dire à Marie, toujours « absente » , elle enfouit tout cela sous son lit.

Le lendemain, la tempête s’était un peu calmée et la mer avait pris des reflets qui la fascinaient.

Elle descendit vers le port et après avoir salué rapidement ses amis pêcheurs, ses pas là conduisent sur la grève la plus proche du quai.

Elle sortit son attirail et oublia le temps, s’absorbant dans sa tâche.

A force de travail, car elle revint tous les jours, elle finit par conquérir l’horizon et la mer à défaut de pouvoir s’approprier sa mère .

Elle jeta sur ses toiles qu’elle fabriquait avec de vieux draps de sa grand-mère inconnue, toutes ses déchirures, son désir de partance aux confins du monde.

La mer répara la mère et quelques années après, Alba fut remarquée par un monsieur en vacances sur son bout de terre.

Il lui apprit qu’il était amateur d’art et possédait une galerie.

Le travail d’Alba l’intéressait et il l’invita à l’exposer sur ses murs.

Alba sut qu’elle avait trouvé le quai et le bateau qui lui offrait le départ.

Elle exposa de nombreuses années et désormais elle signait ses toiles: Sol.

Alba, là mal nommée était passée de l’aube à la lumière, de l’ombre au soleil.

Marie lisait au soleil .


©️ PALOMA GUERAN 

Articles récents

Hébergé par Overblog